lundi 1 août 2016

CHRONIQUES BRÉSILIENNES 3ème semaine


Exit Recife. 
Après trois heures de vol via Teresina, la capitale de l’État du Piauí, arrivée dans celle du Maranhão. Il est deux heures du matin. Personne ne m'attend à l'aéroport car il est trop dangereux de circuler en voiture tard le soir. Bienvenue dans l'une des villes les plus pauvres et les plus violentes d'Amérique Latine. 
Le taxi file dans l'obscurité et les avenues mal éclairées, grille tous les feux rouges … Ici, les bandits règnent quasiment en maîtres de la nuit. Installé sur une île, appelée Upaon-açú (la grande île) par les indiens Tupinambas qui en étaient les habitants avant l'arrivée des colons, São Luis a son histoire intimement liée à la France. Dès le début XVIe siècle, des Français s'étaient installés en plusieurs points des côtes brésiliennes. Les bateaux partaient de Honfleur, de Saint-Malo ou de Rouen pour effectuer le commerce du bois et des animaux. Le premier marin à se rendre au Maranhão et à faire alliance avec les indiens Tupinambas s'appelait Jacques Riffaut. C'était en 1594. Puis d'autres s'installèrent, dont David Migan, considéré comme le premier colon de l'île. On connaît encore aujourd'hui l'emplacement de sa ferme, dans le quartier de Vinhais Velho. En 1612, cinq cents Français prenaient possession de l'île pour y créer la France Equinoxiale. Le rêve fut de courte durée : seulement trois ans durant lesquels les colons créèrent un fort, commencèrent à exploiter les ressources naturelles et tentèrent de christianiser les indiens païens. En 1615, les Portugais prenaient le fort. Ils gardèrent cependant le nom de São Luis, tant était encore fort le souvenir de Louis IX, le roi des Croisades. Tout au cours du XVIIe siècle, la ville fut édifiée selon un code urbain proche de celui de la Renaissance, mêlant beauté, symétrie et organisation rationnelle des espaces publics. Ce modèle à maillage orthogonal s'est perpétué durant le XVIIIe et le XIXe siècle, donnant à la cité un centre historique remarquable, l'un des plus vaste d'Amérique Latine et classé au patrimoine mondial de l'UNESCO. 
Hélas, aujourd'hui des centaines d'immeubles et de maisons sont en très mauvais état ou en ruine. La ville devint rapidement un port important, avec des liaisons directes avec l'Europe et le reste du Brésil afin exporter coton, canne à sucre, riz et textiles. Pour effectuer le travail des plantations, des dizaines de milliers d'esclaves furent déportés dans la région, faisant de l’État du Maranhão l'un des plus africains du Brésil, avec plus de 70% de population noire. C'est également l’État brésilien où il y a le plus de Quilombos (communautés noires descendantes des esclaves) qui luttent encore aujourd'hui pour la reconnaissance de leurs droits fonciers. Après l'abolition de l'esclavage (1888) et la mondialisation des matières premières, la ville connut un déclin rapide qui la marque encore. 
Ville multiple que São Luis ! Richesse fanée, outrecuidance et impunité des riches (les Blancs), pauvreté de la plupart de la population (les Noirs), sites extraordinaires et négritude à fleur de peau. Ainsi, les nuits des vendredis et samedis ne sont pas seulement peuplées des ladrões, mais aussi des tam tam qui sonnent dans l'obscurité du centre, pour les danses effrénées des tambor de crioula, venues tout droit des ancêtres Nagos, du Bénin et des pays avoisinants.

Christian Delon

(A suivre)

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