mardi 5 juillet 2016

Chroniques brésiliennes, Christian Delon



1ère semaine
Orly Ouest, 29 juin 2016. L'ambiance est à la détente et aux sourires dans l'aéroport parisien, malgré l'état d'urgence et les menaces potentielles. Quelques soldats en armes. Comme si tout était normal. Je ne peux m'empêcher de penser à ceux de Zaventem et d’Istanbul qui, comme nous, attendaient leur embarquement.

Vol sans histoire vers le Portugal, première étape. Vieil A321, sièges défoncés mais équipage souriant. L'aéroport de Lisbonne, où je suis passé tant de fois, m'offre son rituel : une « bica bem cheia », un expresso un peu allongé pris sur la terrasse de My Bistro. De là, je vois le Tage et, de l'autre côté, Cacilhas. J'adore m'asseoir à ces tables au bord du hall d'arrivée et regarder le mouvement incessant, les mercos millionnaires en kilomètres, corps noir et tête verte, les groupes bigarrés attendant les vols de Luanda, Maputo et Praia. Les serveuses du café, brésiliennes du Nordeste, font la transition vers Recife. Je savoure la brise et la douceur lisboètes.

Laercio et Carmen m'attendent à l'aéroport de la capitale du Pernambuco. Ce sont des amis de trente ans, militants politiques et humanistes. Laercio a été maire de la ville de Bonito, dans le sertão, où j'ai participé à plusieurs projets de coopération. Bonito a accueilli plusieurs nancéiens venus apporter leur aide dont Gilles de Solidarité Nationale et Internationale et Gérard de l'AREED. Je pensais avoir vu mes amis six ans auparavant … nous nous apercevons que dix ans ont passé depuis notre dernière rencontre. Nous reprenons notre relation d'amitié et de fraternité comme hier. Pas besoin de temps d'adaptation. La transition est immédiate et je suis dans mon élément dès le pied posé sur le sol brésilien.

Recife est l'une des villes les plus intéressantes du Brésil. Non pour la beauté de ses plages urbaines ou pour son centre-ville historique : l'un et l'autre ont été oubliés et massacrés par des édiles peu intéressés par l'élégance de leur ville. Mais Recife est une ville militante, intellectuelle, depuis toujours dans l'action et la pensée. Elle a vu ainsi naître Gilberto Freyre, anthropologue et sociologue, et spécialiste de l'esclavage ; Paulo Freire, pédagogue et inventeur de la pédagogie de l'opprimé ; elle a accueilli Don Hélder Câmara, évêque d'Olinda et l'un des protagonistes de la théologie de la libération. A Recife ont vu le jour le premier syndicat de dockers et le premier quotidien d'Amérique Latine (Diario do Pernambuco). J'aime bien cette ville et son atmosphère particulière.

Je suis venu dans le Pernambuco pour voir Laercio et Carmen mais aussi d'autres amis très chers. Parmi eux, deux artistes fameux, invités à Nancy dans le cadre de la Foire internationale : Marliete, une extraordinaire sculptrice, qui réalise des personnages en terre de quelques centimètres de haut, avec des détails minuscules. Elle les peint ensuite avec des épines d'un cactus local, le mandacaru. L'autre artiste est João do Pife, un maître joueur de fifre, directeur d'un orchestre et dépositaire de la tradition musicale de cette région. Tous deux habitent Caruaru, ville qui se situe à l'entrée du sertão. Depuis la chanson de Lavilliers, la ville a bien grandi et l'hôtel Centenario, qui était à l'entrée de la ville, est maintenant en son centre. Ceci est dû à l'extraordinaire vitalité des villes brésiliennes de l'intérieur (par opposition aux villes côtières) qui, en quelques années, comptent des centaines de milliers d'habitants.

Christian Delon

(à suivre)

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