mardi 20 décembre 2016



Pékin
L’air irrespirable de ce monde
La domination/ soumission : notre lot commun
La consommation/ divertissement : soupir de la créature opprimée
Noël dans quelques jours annonce-t-il notre libération ?
C’est au cœur de la nuit que l’espérance se fait jour

FBA

vendredi 16 décembre 2016

Alep symbole de la tragédie du monde


Cette semaine les informations en provenance d’Alep sont insupportables. Aucun homme ne peut accepter ce qui s’y passe : corps morts d’enfants, de femmes, de vieillards au milieu des ruines, longues files d’hommes hagards portant quelques maigres bagages, fuyant un enfer de chaque instant. Bombardements continuels tuant jours et nuits, sans distinction, combattants et civils.
On sait depuis toujours que le Régime de Damas est prêt à tout, prêt à commettre les pires crimes pour rester en place. Il le montre chaque jour et depuis toujours.
Plus rien dans ces ghettos assiégés ne doit rester debout, ni vivant. Jusqu’à ce qu’un silence de mort y règne. La machine de guerre en marche depuis des années atteint son paroxysme. L’impensable se réalise.
Face à cette guerre, les citoyens que nous sommes crient leur indignation, leur répulsion.

Pourquoi le reste du monde ne peut-il rien faire pour sauver les vies, pour régler ce conflit qui dure depuis si longtemps ?
Au début de la guerre, en 2012 et 2013, je me souviens, le clan Assad, pressentant la fin de son règne, voulait négocier une paix lui permettant de sauver son Régime. La communauté internationale, c’est-à-dire principalement la France, l’Europe et les Etats-Unis, refusèrent absolument toute forme de négociation avec ce régime de dictature, alors que de multiples associations pacifistes, connaissant bien la situation en Syrie, réclamaient une paix négociée avec le Régime en place. Pour ces associations internationales la seule solution était la négociation. Je pense principalement à la communauté Sant’egidio.

Mais les grandes puissances ont refusé absolument toute négociation avec Damas. Elles ne voulaient pas en entendre parler, pensant vaincre militairement le dictateur. Notre ministre de l’époque, Laurent Fabius était parmi les plus va-t-en guerre au monde. Les grandes puissances occidentales en lien avec le pouvoir dictatorial d’Arabie saoudite, étaient les faiseuses de guerre. Elles ont armé les terroristes islamistes qui éliminèrent en premier lieu les forces démocratiques syriennes. Les démocrates Syriens sont maintenant quasi inexistants. Les forces démocratiques syriennes ont été décimées par la famille Assad, avant les printemps arabes avec la complicité des pays occidentaux, puis lorsque l’Arabie saoudite est entrée en guerre contre le Régime syrien, ce furent les islamistes qui terminèrent le travail.

Aujourd’hui depuis l’entrée de la Russie aux côtés d’Assad, cette même communauté internationale, réunie autour des Etats-Unis et de la France, n’a plus du tout la maîtrise de la situation, alors qu’en 2012 et 2013, elle pensait vaincre et chasser Assad par une guerre totale. La situation s’est renversée. Le rapport de force a changé de camp.
Poutine ne défend que les intérêts de la Russie, comme la France et les Etats-Unis ne défendaient que les leurs. Dans cette affaire, les peuples n’ont rien à gagner, au contraire : pour eux ces guerres, ces conflits d’intérêts ne pourront se solder que par la mort. Pour les populations, rien ne change, et les réfugiés par millions quittent les zones de combats quand ils n’y meurent pas.

Dans ces conditions, la responsabilité de la communauté internationale, France en tête, est immense : En Syrie, c’est une longue liste d’erreurs qui un jour devront être rappelées, analysées.
Être le terrain de jeu des grandes puissances ne peut mener qu’à la ruine des Etats et des peuples qui y vivent.

Jamais les grandes puissances n’ont œuvré en faveur de la paix et des droits de l’homme, qui ne sont la plupart du temps que des prétextes pour maintenir leur propre puissance, leur domination. Les nations ont toujours raisonné en terme d’avantages, de rapports de force et d’intérêts à sauver ou à conquérir.
Tant que les relations internationales seront fondées sur les puissances et les intérêts, il y aura la guerre. La tragédie actuelle du monde se situe exactement là.
Cette tragédie qu’Alep aujourd’hui symbolise, se solde par la désolation, la ruine et la mort.

Soit l’homme accepte d’être dominé par la puissance avec toutes les conséquences dramatiques, soit l’homme dit non à ce monde et s’engage pour un autre monde. Jamais les armes n’arriveront à régler un conflit entre des intérêts. La victoire d’un camp alimentera toujours une guerre future. 

François Baudin

jeudi 8 décembre 2016

Réflexions sur Alep assiégée



Réflexions sur Alep assiégée.
Le martyre des populations civiles assiégées à Alep en Syrie rejoint à travers l’histoire Stalingrad, Varsovie, Guernica, Gaza et bien d’autres villes qui résonnent dans nos mémoires comme un long cri que l’homme adresse à son frère pour qu’il vienne à son secours.

Mais que peut-on faire ?

Le réveil des peuples qu’on a appelé Printemps arabe voulait mettre à bas les dictatures soutenues depuis toujours par les grandes puissances. Les mouvements populaires en 2011 et 2012 qui ont rassemblé sur les places et dans les rues des millions de personnes enthousiasmées par un autre monde possible, ont produit au fil des années l’inverse de ce que les peuples souhaitaient. L’aspiration à plus d’égalité, de liberté, de démocratie s’est transformée par la manipulation de certains en fanatisme religieux, fascismes à formes multiples, crimes commis contre les peuples, retour des anciennes dictatures.
Des guerres continuelles ont divisé ces pays devenus la proie de criminels, la proie de puissances régionales qui considèrent ces territoires où tout Etat a disparu comme leur aire de jeu. Dans ces territoires devenus des friches où le droit a disparu, l’ombre des grandes puissances plus que jamais présentes, continue de planer telle une menace venant assombrir tout horizon de paix
La guerre dans cette partie du monde n’a pas cessé depuis l’invasion illégale de l’Iraq en 2003 par les Etats-Unis, semant la mort, la famine, la dislocation de régions entières, la disparition de peuples historiques qui vivaient dans ces régions depuis des millénaires. L’histoire récente du Moyen-Orient symbolise à elle seule l’histoire du monde où la guerre n’a jamais été éradiquée.

Aucune solution de paix n’apparaît. Les forces en présence dans ces conflits sont sans cesse réalimentées par d’autres forces qui viennent rajouter de la guerre à la guerre.

Alors que faire ? Notre sentiment d’impuissance est si grand, que la lassitude risque de s’emparer des meilleures volontés.

Pourtant à l’issue du second conflit mondial en 1945, les anciens belligérants ont décidé de ne plus jamais revoir de telles désolations. Ils ont eu pour projet collectif d’instaurer une paix perpétuelle, au moins en préparer les conditions en créant l’Organisation des Nations Unies (ONU) dont le but premier était de maintenir la paix, régler préventivement les conflits, privilégier la négociation collective, instaurer une législation internationale fondée sur le droit et la souveraineté des peuples.

Les grandes puissances victorieuses en 1945 ont voulu par-dessus tout conserver et même augmenter leur influence. Il était hors de question que les peuples puissent se gouverner eux-mêmes ; les puissances ont tout fait pour continuer de se partager le monde et le dominer.

La création du Conseil de Sécurité de l’ONU avait cet unique objectif : non pas agir préventivement contre les conflits, mais maintenir les grandes puissances en place, conserver leurs intérêts. Le bilan historique du Conseil de sécurité est terrible : jamais aucun conflit n’a pu trouver une solution juste grâce à son action. Au contraire. Citons l’exemple du  peuple palestinien qui a toujours vu ses aspirations légitimes niées. Aujourd’hui à Alep en Syrie, c’est le Conseil de Sécurité des Nations Unis qui bloque toute solution de paix.
Le droit international ne pourra jamais être mis en œuvre sous l’égide d’un Conseil restreint et ne représentant que les intérêts des grandes puissances.
Il est urgent de réformer l’Organisation des Nations Unies, de dissoudre ce Conseil de sécurité, responsable de la situation actuelle du monde, et donner la direction des affaires internationales à l’Assemblée Générale des Nations Unies qui doit représenter l’ensemble des peuples de la planète.


François Baudin

vendredi 2 décembre 2016

Vanitas vanitatum homo


L’homme est dans l’erreur lorsqu’il se croit indispensable, lorsqu’il se considère comme l’éternel faiseur de miracles, comme celui qui maîtrise la destinée de populations entières, lorsqu’il se voit l’exception, l’élu, quelque chose d’incomparable, le grand réformateur, celui grâce à qui tout va changer, l’unique, le sauveur suprême ; celui qui nomme son histoire personnelle, l’histoire universelle. Vanitas vanitatum homo.
La décision jeudi dernier de François Hollande de renoncer à renouveler son mandat présidentiel, est probablement la plus grande des décisions que cet homme n’ait jamais prise.
Même si le président Hollande ne pouvait guère faire autrement, car sans soutien dans son propre camp, et surtout sans celui des Français sondés et resondés qui ne veulent plus voir cet homme à la tête du pays, tenir les manettes de nos destinées.
Rarement un homme a été aussi impopulaire.
Le Président était littéralement dans une impasse : il ne pouvait plus rien faire, chaque décision pouvait se transformer en catastrophe.

Réduit à l’impuissance, il ne pouvait aussi plus rien promettre.

L’élection est basée sur une promesse le plus souvent non tenue. Comment était-il possible qu’un homme, qui ne pouvait plus rien promettre, puisse à nouveau se présenter au suffrage des Français ? Pourquoi un nouveau mandat ? Pour quoi faire et avec qui ?
Il ne pouvait plus rien promettre, car aucune de ses promesses précédentes n’avait été tenue. Mais est-ce le sort des promesses électorales ne pas être tenues ? Le sort des hommes politiques n’est-il pas de trahir ?
Mais même pour ceux qui n’avaient pas attendu grand-chose de l’élection de Hollande en 2012, il y a eu une grande déception. Hollande faisait le plus souvent l’inverse de ce pour quoi il avait été élu.

Jeudi soir, tout le monde a jugé le président digne, ému, humain. Pour une fois il est devenu ce qu’il nous avait promis il y a cinq ans : être un homme normal.
Nous l’avons écouté avec un peu de pitié : celle qui nous dit qu’on ne tire pas sur un homme blessé.
Il n’y aura pas d’hallali pour Hollande, et c’est tant mieux. Au moins il aura évité cette indignité.

Alors dès jeudi, l’espoir d’autre chose est revenu dans les esprits de beaucoup. Une page est tournée, et soudain pour un grand nombre l’horizon s’est dégagé.

Méfions-nous maintenant des discours, des promesses, des sauveurs suprêmes. Les promesses au cours des semaines à venir, nous allons en entendre quotidiennement !
Le système démocratique fondé sur l’élection de nos représentants remplit une fonction essentielle : celle de nous demander de démissionner de nos propres responsabilités et de notre souveraineté, et de nous en remettre à un homme providentiel le temps d’un mandat sans contrôle démocratique et sans obligation de faire ce qui a été promis.
Aujourd’hui la démocratie telle qu’elle est mise en œuvre est une démocratie de basse intensité.
L’élection du Président de la République au suffrage universel direct est tout à fait insuffisante pour qu’on puisse dire que nous vivons dans une vraie démocratie.

Ensemble, nous devons créer des institutions collectives et associatives permettant de participer aux décisions, de contrôler les élus et de les obliger à réaliser les programmes promis.
Aujourd’hui la démocratie reste encore à inventer.
François Baudin


vendredi 25 novembre 2016

La France en danger ?


Pour beaucoup de journalistes, le débat de jeudi soir dernier entre les deux candidats de la droite et du centre fut d’un haut niveau politique, d’une grande qualité, d’une grande urbanité entre deux hommes d’Etat qui ont occupé les plus hautes fonctions dans un passé récent.
On avait affaire d’après ces médias à une joute homérique où les héros des deux camps représentaient un point de vue honorable, savaient se respecter mutuellement, s’écouter. Et bien entendu ces deux hommes sauront se retrouver ensuite, après la bataille, car ils sont d’accord sur l’essentiel.  Pour l’un comme l’autre, ce n’est qu’une affaire de méthode. L’un plus brutal veut trancher dans le vif, l’autre plus consensuel veut rassembler et convaincre.
Et c’est vrai ces deux hommes sont bien en accord sur l’essentiel. Et sur l’essentiel, il n’y eut aucun débat ce soir là.
Mais comment se nomme cet essentiel, que recouvre-t-il exactement ?
L’essentiel pour eux, c’est de dire que si la France va mal, c’est à cause des salariés du public et du privé qui ne travaillent pas assez et gagnent trop. Il faudra donc y remédier : faire travailler plus pour gagner moins. Précariser le plus possible le contrat de travail, rendre souple et fluide le marché du travail, supprimer le droit des salariés. Ubériser l’économie. Les deux candidats disent qu’avec ces mesures, on retrouvera le plein emploi, la croissance économique. On sait bien que c’est en licenciant, en précarisant, en augmentant la durée du travail en allongeant l’âge de la retraite jusqu'à 70 ans qu’on créé des emplois.
Le nombre de chômeurs actuels nous l’indique : licencier pour créer des emplois est probablement le meilleur slogan que l’on ait jamais trouvé et qui pourrait faire rire Raymond Devos, s’il ne se soldait pas par une plus grande misère dans notre pays.

Pour ces deux hommes, l’essentiel est dire que l’Etat est trop coûteux : les fonctionnaires furent alors ce soir là, la cause de tous nos maux. La différence s’est située sur les chiffres : l’un dit qu’il y a environ 250 000 fonctionnaires en trop, l’autre 500 000, pourquoi pas un million. Où sont ces fonctionnaires ? Dans la police, à l’hôpital, dans l’éducation nationale. Où ? Il faudra le dire.
L’essentiel pour eux c’est aussi la fiscalité trop injuste envers les riches. Supprimer l’impôt sur la fortune, réduire les droits de succession, diminuer les barèmes de l’impôt sur le revenu et augmenter la TVA qui frappe tout le monde et rapporte gros. Chacun sait que c’est en redonnant de l’argent à ceux qui en ont déjà que les plus pauvres s’enrichiront.

Alors la France se trouve-t-elle en danger ?
Oui, une certaine idée de la France a totalement disparu de la pensée politique : celle de la solidarité, de la redistribution, d’une recherche de l’égalité. Celle de l’Etat garant de la justice sociale.
La mise en place des réformes prévues par ces candidats agrandira encore la fracture sociale entre ceux qui ont du travail et ceux qui n’en ont pas, entre ceux qui peuvent se soigner et ceux qui ne peuvent pas, entre ceux qui partent en vacances et ceux qui ne partent jamais, entre ceux qui peuvent aller dans les grandes écoles et ceux qui en sont exclus, etc, etc.

Il s’agit d’une tournant historique où les mots de fraternité, égalité, justice deviennent des gros mots que plus personne n’ose prononcer.
Je conseille simplement à ces deux candidats qui revendiquent le fait d’être catholique, de relire attentivement les textes sur la doctrine sociale de l’Eglise.

François Baudin 

mardi 15 novembre 2016

Dernière publication : Mapuche, et fier de l'être de Claude VAUTRIN



Grand reporter et écrivain, Claude Vautrin a fait de la question Mapuche l’un de ses champs d’investigation. Le véritable déclencheur fut l’année 2008 et les premières longues grèves de la faim des PPM, les Prisonniers Politiques Mapuche. Après plusieurs reportages au Chili, il s’est immergé dans une communauté de Melipeuco, au pied du volcan Llaïma. Dans Mapuche, et fier de l’être, il évoque la vision du monde des Mapuche, le combat d’un peuple pour protéger sa terre, la brutalité de la riposte étatique, et la violence du contexte économique ultralibéral en action dans cette région du monde. Assurément instructif pour l’avenir de la planète.



BON DE COMMANDE

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Mapuche, et fier de l’être
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jeudi 10 novembre 2016

prendre son destin en main collectivement


Tous les peuples de la planète ont regardé les élections américaines comme si c’étaient leurs élections. Le monde entier a vibré d’émotion devant les résultats affichés mercredi matin 9 novembre : Contre toutes les prévisions des instituts de sondage, contre tous les journaux des Etats-Unis et d’ailleurs qui dominent la scène médiatique : le candidat Donald Trump a été élu en Amérique. Celui qui était traité d’imposteur, menteur, fou dangereux, démagogue est devenu le nouveau président de la première puissance du monde.
Si nous avons suivi cette élection américaine comme si elle était aussi la nôtre, c’est parce qu’il y a là une réalité : oui le président des Etats-Unis est d’une certaine façon le président de l’humanité tout entière. Car c’est le plus souvent aux Etats-Unis que se décide notre avenir. Celui de la guerre ou de la paix. Le destin des nations, de régions entières du monde, se joue dans le bureau ovale de la Maison Blanche. Le destin de milliards d’individus est fixé à Washington, sans qu’aucun d’entre eux ait le moindre poids sur les décisions.

Mais qui décide exactement de notre destin ?
Obama avait promis de changer la donne politique il y a 8 ans. Il avait été élu pour cela : réduire la grande pauvreté, apporter plus de bien-être au peuple américain, stopper la désindustrialisation en cours, lutter contre la racisme, garantir les soins médicaux pour tous, rendre gratuites les études, contrôler les activités bancaires, sauvegarder l’environnement et lutter contre le réchauffement climatique, etc, etc.
Obama symbolisait cette promesse américaine d’un autre possible, d’une maîtrise de notre destin par une volonté politique affirmée. Il prônait pour le monde la résolution des conflits par la négociation. Par exemple le peuple palestinien a beaucoup espéré en Obama.
On peut penser qu’Obama était honnête quand il promettait plus de justice, plus de solidarité, plus d’égalité. Lorsqu’il parlait d’une mondialisation heureuse et équilibrée.
8 ans après, l’échec d’Obama est patent. Et cet échec a accouché de Trump, un milliardaire aventurier, imposteur et dangereux.
Obama n’a rien pu faire de véritablement nouveau. Il était face à des lobbys d’une puissance extraordinaire, face à des entreprises financières gigantesques, plus puissantes que les Etats, il était face à des oppositions permanentes.
Alors la question légitime est celle-ci : comment se fait-il que l’homme le plus puissant de la planète soit aussi impuissant à résoudre les difficultés ?
Parce que le vrai pouvoir n’est pas là, à la Maison blanche ou à l’Elysée, et le plus souvent un président n’est que le fondé de pouvoir de ces puissances qu’il représente.
Hillary Clinton était la quintessence même de la candidate au service de ces puissances, des élites. Et si d’aventure un homme politique s’amusait à résister face à ces puissances, il comprendrait vite que ses marges de manœuvre sont infimes. Et il nous expliquerait qu’il ne peut rien faire, que les réalités sont là.
Alors que fera Trump ? Que pourra-t-il faire ?
Le repli national qu’il prône, l’érection d’un mur contre la Mexique qui existe déjà en grande partie, le renvoi de millions de travailleurs venus d’Amérique latine, toutes ces propositions démagogiques, seront bien évidement lettres mortes, des promesses de campagne pour un peuple en grande difficulté et qui reporte son malheur sur l’étranger, le bouc émissaire. Le destin politique de Trump sera identique aux autres : une énorme déception du peuple face à l’impuissance d’un homme soi-disant le plus puissant du monde.
On pourra s’en féliciter, les gardes fous institutionnels vont se mettre en place. Et Trump lui-même trahira ses promesses si dangereuses.

Alors la seule question qui vaille en ce lendemain des élections : Comment faire pour que les choses changent réellement ?
Seule une prise en main collective de notre destin fondé sur une espérance d’un autre monde possible pourra changer réellement les choses. 
François Baudin

vendredi 4 novembre 2016

Le veto abstentionniste



Triste figure que celle de la démocratie aujourd’hui. Les primaires de l’élection présidentielle en France sont ridicules, elles rivalisent en médiocrité avec les élections qui ont lieu actuellement aux Etats-Unis.
Dans l’une comme dans l’autre, les véritables enjeux sont absents :
-  misère de millions de citoyens exclus qui sont en permanence stigmatisés et désignés comme responsables de nos difficultés. Les exclus (chômeurs, salariés pauvres, précaires, immigrés, réfugiés) sont les nouveaux boucs émissaires de nos sociétés. Ceux qui devraient être notre principal souci sont ceux que nous condamnons,
-   inégalités monstrueuses entre les riches de plus en plus riches et méprisants et les pauvres,
-  absence de stratégie de paix dans un monde que les grandes puissances autoproclamées démocraties contribuent à déstabiliser. La vision guerrière du monde distillée par ces puissances a des conséquences terribles.
- absence de la question environnementale dans les débats alors qu’un danger vital guette toute l’humanité devenue la proie de prédateurs animés uniquement par le profit.

Le constat que n’importe qui est en capacité de faire est dramatique. Et rien ni personne individuellement ne peut arrêter cette tragédie vécue comme un spectacle.
Mais nous sommes de plus en plus étranger à ce spectacle. Il ne nous intéresse pas, il ne nous concerne pas, alors que nous en sommes les victimes et les complices rien qu’en le regardant.

Par exemple aux Etats-Unis, le peuple américain a le choix entre un dangereux provocateur milliardaire qui cumule démagogie, insanités, bêtises, apologie de la loi de la jungle, degré zéro de la politique, et une femme, Hillary Clinton, que beaucoup qualifient de corrompue, va-t-en guerre, irresponsable, mais tel un fidèle petit soldat, constamment au service des plus grands de la planète, de ceux justement qu’il faudrait combattre et arrêter.
Trump/Clinton sont les deux faces d’un même système qui broie les individus, ne les écoute pas, les culpabilise et leur fait peur.
La démocratie devient une caricature d’elle-même lorsqu’elle se résume à des élections, quintessences du mensonge et de l’hypocrisie.
Le cirque médiatique est le relais nécessaire pour que cette situation continue.

Alors nous ne nous étonnerons pas que le nombre des abstentionnistes augmente. Le suffrage universel n’a d’universel que le nom. Beaucoup en sont exclus et ne se présentent plus dans les bureaux de vote.
Si le peuple est de plus en plus souvent absent des urnes, c’est parce que au fond il pense que rien ne peut véritablement changer par des élections.
Il y a presque 150 ans, Nietzsche écrivait dans son livre Humain trop humain : « Si à l’occasion des élections deux tiers des électeurs ne se présente pas à l’urne, on peut dire que c’est là un vote contre le système dans son ensemble. »
Les abstentionnistes votent à leur manière. Mais bien sûr leur manière fait qu’on n’en tient jamais compte.
La non participation à un vote est précisément une des contradictions qui renverse tout le système électoral. Il s’agit d’un veto absolu de l’individu qui devrait faire réfléchir.

François Baudin 

vendredi 28 octobre 2016

Où va la démocratie ?


Quelle leçon tirer des dernières péripéties du traité commercial avec la Canada ? La Wallonie province francophone belge a refusé pendant plusieurs jours de signer l’accord CETA qui libéralise les échanges au bénéfice des entreprises multinationales, de la finance et du marché. Poursuivant ainsi la rapide désindustrialisation, la disparition de pans entiers de l’économie, la fin d’une agriculture de proximité, le règne de l’argent roi et des puissances mercantiles.
La mondialisation actuelle fondée sur la concurrence généralisée, la circulation de la marchandise, le combat de tous contre tous, doit être mise en œuvre à tout prix, partout, en tout lieu. Aucun pays ne peut y échapper, aucune marchandise ne sera épargnée. Tout s’achète et tout se vend. Tout est privatisable, l’air, l’eau des sources, les mers et les océans, le ciel et les astres, l’éducation, la santé, la sécurité, la justice,… Tout doit produire du profit, si on le presse bien.

Comme s’il s’agissait d’un destin inéluctable contre lequel il n’y a rien à faire : la mondialisation contemporaine détruit tout sur son passage, ne tient compte d’aucune réalité humaine, d’aucun besoin vital, d’aucune démocratie comme d’aucun peuple.

On assiste alors à une lente et inexorable descente aux enfers pour les populations touchées par cette folie contemporaine qui ignore la dignité humaine et l’intérêt général. Le monde va de crises en crises, de guerres en guerres, laissant des millions d’hommes dans les fossés, dans l’exclusion et la pauvreté. Jetant d’autres sur les routes de l’exode qui finissent à Calais, à Lampedusa. Nous sommes les témoins et aussi les victimes d’une lente disparition des populations touchées par cette folie.

Le non démocratique des Wallons fut le symbole d’une tentative de résistance, comme la Grèce il y a deux ans : dire non au diktat économique. Montrer notre désaccord et affirmer un autre monde possible.
Mais que pèse la démocratie, la souveraineté des peuples face aux froids calculs des Etats et des grandes puissances. Rien ou presque. Ce n’est quand même pas 2 ou 3 millions d’êtres humains qui empêcheront le monde d’aller comme il va,…mal.

Un minuscule grain de sable comme un espoir d’humanité est apparu dans cet ensemble inhumain : il s’est nommé cette semaine la Wallonie. Ce grain tel le sénevé pourrait grandir et transformer le monde en son entier. Il présente un danger imminent pour les affaires qui doivent malgré tout continuer. Business as usual.

Pourtant les grandes puissances étatiques et économiques nous ont semblé bien fragiles cette semaine, si on y réfléchit. Colosses aux pieds d’argile qui ne tiennent debout que par notre bon vouloir, par notre passivité, notre indifférence, notre complicité même.
Pendant quelques jours ce fut l’affolement à Bruxelles, capitale de l’Europe. Une rage hystérique a saisi les dirigeants du monde. Des pressions inimaginables ont pesé sur ce petit peuple wallon et sur ses élus pour qu’il cède à la réalité mondiale.
Et ils ont cédé, pas tous, mais en nombre suffisant pour que l’ordre économique soit rapidement rétabli. Les droits sociaux continueront d’être sacrifiés sur l’autel de la marchandise. L’environnement, l’avenir de l’homme comme l’avenir des animaux continueront d’être oublié devant les comptes de résultat des entreprises. Les communautés humaines continueront d’être la proie de prédateurs sans morale.

La bataille pour un autre monde généreux, fraternel, un monde de paix, ne fait que commencer.
François Baudin

vendredi 14 octobre 2016

La Syrie, l’ONU et les grandes puissances


Pourquoi le conflit en Syrie ne trouve-t-il pas de solution ? Pourquoi fait-il autant de victimes ? Femmes, enfants, sont depuis des mois la cible des exactions de rebelles islamistes armés par les pays arabes du Golfe, eux-mêmes armés par l’Occident. Ces rebelles rivalisent dans le crime avec les forces syriennes armées par l’Iran et la Russie qui participe activement à la guerre depuis un an.
Tous ces protagonistes d’une guerre à outrance mettent à feu et à sang un pays tout entier, le menent à une ruine certaine. Ils tuent sans distinction civils et combattants, et provoquent dans chacun des camps l’exode de millions d’habitants qui fuient les destructions, la mort et un avenir bouché par les bombes.
La situation est dramatique et semble sans issue à nous qui assistons quotidiennement devant nos téléviseurs à ces massacres. Nous sommes effarés. Et cependant la lassitude nous envahit, ainsi qu’un sentiment d’impuissance.
Pourquoi tous ces morts ? Pourquoi cette incapacité à régler par la négociation un conflit d’une telle intensité ?
La question de la puissance est posée. Qui a le pouvoir d’arrêter un tel massacre ?
On voit bien que les grandes puissances sont dans l’incapacité de négocier, de stopper le conflit. Est-ce d’ailleurs leur souhait ?
Une grande puissance ne raisonne que de son point de vue de puissance qui veut toujours accroître sa domination.
Les nations impliquées en Syrie ne sont pas nombreuses : Russie, Etats-Unis, France, Angleterre. Des puissances secondaires et régionales y jouent aussi un rôle important : Arabie saoudite, Iran… Tous sans exception arment les belligérants, leurs alliés d’un moment. Tous alimentent le conflit. Pourquoi ?
Parce qu’ils veulent continuer d’y jouer un rôle.
Leur responsabilité est écrasante dans le conflit syrien. Ils ne font que mettre de l’huile sur le feu, d’ajouter la guerre à la guerre. Et cela depuis 2011. Dans ces conditions aucune solution n’est possible sans la victoire définitive d’un camp sur l’autre.
Que faire ?
Après la seconde guerre mondiale, les nations ont créé l’Organisation des Nations Unies (ONU). On ne voulait plus revoir un tel drame pour le monde.
La société des Nations qui a vu le jour après la Première guerre mondiale pour les mêmes raisons, a été incapable d’arrêter la Seconde guerre mondiale beaucoup plus meurtrière que la première.
Pourquoi cette incapacité ? Parce que la Société des Nations disparue corps et biens en 1940 était déjà dominée par les puissances étatiques et leurs intérêts.
L’ONU qui aura bientôt un nouveau Secrétaire général, aura-t-elle le même avenir ? La même destinée : disparaître à cause de son incapacité ? Pourtant des chapitres entiers de sa Charte sont consacrés au maintien de la paix. Prévenir les conflits est sa mission première.
Depuis toujours, l’ONU est dominée par les grandes puissances prêtes à faire la guerre, à attiser les conflits si leurs intérêts ne sont pas préservés.
Aussi longtemps que les pays du monde remettront leur destinée dans les mains des grandes puissances, nous aurons la guerre. Les guerres permanentes aujourd’hui en sont les preuves tangibles.

Il est urgent de réformer l’ONU, de dissoudre son Conseil de Sécurité qui n’a de sécurité que le nom. Il est urgent de donner le pouvoir à l’Assemblée générale des Nations unies dont le rôle actuel est infime dans le maintien de la paix.

François Baudin 

jeudi 6 octobre 2016

Secourir


Pour ceux qui en doutaient encore, le vrai visage du Front National s’est dévoilé ces derniers jours à Hayange en Lorraine, municipalité dirigée par l’extrême droite depuis mars 2014. Ainsi le groupe politique qui prétend défendre le peuple a décidé de fermer le local du Secours populaire et de couper les aides apportées aux plus démunis, habitants d’Hayange et de sa région, au prétexte de propagande pro-migrants.
Le bras de fer est engagé entre la municipalité et l’Association qui depuis tant de décennies œuvre en faveur des pauvres et des exclus de plus en plus nombreux dans notre pays.
Le travail social effectué par le Secours populaire, association créée en novembre 1945 au lendemain de la guerre, est reconnu d’utilité publique. Le Secours populaire est la troisième association en France derrière la Croix rouge et le Secours catholique. Le travail de milliers de bénévoles permet à des milliers d’enfants de partir en vacances chaque année, à des milliers de familles en difficulté de survivre. A Hayange ce sont 800 personnes qui sont aidées.
Le nouveau maire extrémiste de la commune d’Hayange lui reproche d’aider les migrants. Mais la présidente du Secours d’Hayange, Anne Dufflot-Allevi, répond que la solidarité ne fait pas de distinction, elle aide tout le monde, elle ne trie pas ceux qui ne peuvent pas de ceux qui peuvent bénéficier d’aides. D’ailleurs aucune association d’aide aux plus démunis ne pratique ce genre de discrimination, cela est immoral, et heureusement illégal en France. 
Est-il demandé d’être catholique pour bénéficier des aides du Secours catholique ? Bien sûr que non.
Est-il demandé d’être Français pour pouvoir bénéficier des restaus du cœur ? Encore non.
Est-il demandé aux bénévoles du Secours catholique d’être catholiques, non également. Tout bénévole est accueilli à bras ouvert.
La municipalité d’Hayange reproche au Secours populaire d’être une officine de militants d’extrême gauche. Connaissant personnellement des bénévoles de cette association, je puis assurer qu’il n’en est rien.
La solidarité qui est universelle, doit être mise en œuvre universellement. Pourquoi ?
Parce que c’est en tant qu’être humain qu’on vient au secours d’une autre humain quelle que soit son origine, sa nation, sa religion.
Ce principe d’universalité est le fondement même de la solidarité.
Le drame actuel au large des côtes libyennes, italiennes ou grecques, alerte toutes les consciences. Quelque chose d’insupportable se passe, quelque chose d’inouï. Du jamais vu.
L’égoïsme des pays riches ne fait qu’aggraver la situation.
L’incapacité pour les grandes puissances de stopper les conflits, même dans la plupart des cas la volonté de les attiser afin d’y défendre leurs intérêts propres sont des facteurs de guerre dans le monde entier.
L’incapacité de favoriser un véritable développement économique et social dans de nombreux pays d’Afrique, même au contraire une volonté de poursuivre dans le pillage des ressources prodigieuses de certaines régions de ce continent, provoque toujours plus de misère, de guerres locales qui détruisent les pays.
La responsabilité historique de l’Europe et des grandes puissances face à cette situation est immense. Un jour des comptes seront exigés à ces nations au nom de l’humanité.
Seule l’ONU devrait être missionnée pour résoudre toutes ces questions. C’est sa vocation initiale. C’est pour cela qu’elle a été créée après 1945, pour dire le droit des peuples et ne plus jamais revoir de tels drames.
Or l’ONU est entravée dans son action par les grandes puissances qui veulent à tout prix garder leur leadership et ainsi sauvegarder leurs intérêts. Si l’ONU n’a pas de moyen pour agir, c’est parce que les nations ne lui en donnent aucun. Il est urgent de réformer l’ONU contre la puissance des Etats, afin de lui permettre d’agir.


Le monde dirigé par les grandes puissances court à la catastrophe. Le repli de chacun sur ses propres intérêts, à Hayange comme en méditerranée, à Alep comme en Afrique ne peut mener qu’à la ruine de tous.
François Baudin

dimanche 2 octobre 2016

Qu'est-ce que l'expérience esthétique ?




Voilà la question qui nous réunit ce soir. Bien sûr nous n’arriverons pas à répondre à cette question. Ce sera plutôt une approche.
Deux mots essentiels sont contenus dans cette question : expérience et esthétique.

Tout d’abord qu’est-ce qu’une expérience ? Le dictionnaire répond qu’une expérience c’est le fait d’éprouver quelque chose considéré comme un enrichissement de la connaissance. Chaque expérience apporte quelque chose de neuf que nous tentons de garder en mémoire et qui vient compléter ce que nous savions auparavant. Mais on voit bien que par cette réponse on n’a pas abordé véritablement la question de l’expérience, mais on a abordé une des conséquences de l’expérience qui serait un élargissement de notre savoir, de nos aptitudes. On a expliqué un mot par une de ses conséquences.
Comme souvent pour comprendre un mot, il faut aller vers son étymologie : expérience vient de péril. Dans ce mot péril il y a aussi l’idée de passage, de porte, de port, d’au-delà quelque chose. D’ailleurs le mot latin periculum qui vient lui-même du Grec peira, peut être traduit par expérience. Péril ! Periculum peut aussi se traduire par épreuve. Grâce à ces différents mots péril, épreuve, porte, passage… on approche un peu plus de ce qu’est une expérience.
Un péril, on voit bien ce que c’est, c’est un instant que l’on vit et où on court un grand danger. Et pour ce qui concerne l’expérience, ce grand danger, ce péril donc, est porteur d’enseignement, de connaissance. En cela il devient une expérience telle que nous l’entendons.

L’expérience est donc simplement un instant que l’on vit. Qu’est-ce qu’un instant ? Quelque chose qui ne dure pas, qui tombe dès sa venue, qui disparaît aussi vite, mais qui laisse des traces, qui transforme. L’instant c’est une relation, une interaction, un échange, une rencontre entre deux ou plusieurs choses différentes. Un échange de quoi ? Essentiellement un échange d’informations, de sens, d’idées. En plus d’être un échange de matière et de puissance. Et cet échange produit un changement. En cela il devient passage.
Voilà très rapidement dit pour ce qui concerne l’expérience.

Maintenant pour ce qui concerne le mot esthétique, je vais me reporter au dictionnaire des concepts philosophiques : le mot vient du grec aisthêtikos, qui signifie : avoir la faculté de percevoir ou/et de comprendre. Aisthêsis peut être traduit pas sensation.
Mais percevoir quoi ? Avoir la sensation de quoi ?
Percevoir le sens que l’instant de l’expérience a délivré, a fait passer. Percevoir et aussi comprendre (prendre en soi, avec soi). Et donc dans un second temps de cette expérience : capacité de juger, d’évaluer le sens qu’il a porté.

Cette approche du mot esthétique nous montre qu’il ne s’agit pas de la science du beau. Il ne s’agit pas d’une théorie de la beauté, mais d’une capacité humaine de recevoir et/ou de comprendre le sens transmis lors d’une expérience, d’une relation ou d’un échange avec un autre. Il s’agit essentiellement d’une expérience.

Donc dans cette introduction j’insiste sur l’instant de la relation avec quelque chose dont nous sommes partie prenante puisqu’il s’agit d’une relation, et sur la capacité humaine d’entendre le sens délivré par cet instant.

L’instant esthétique
Je vais donc vous parler de l’instant esthétique. Et à partir de cet exposé, je pourrai dire ce qu’est pour moi l’expérience esthétique et même proposer une définition du beau.
Je commence par la peinture, plus précisément par le travail des peintres Cézanne et Matisse.
Que fait Cézanne lorsqu’il est sur le motif ? Il tente de tenir l’instant (l’expression est de lui), comme il l’explique en joignant les mains.

Voilà ce qu’il faut atteindre dit-il dans une conversation reconstituée par Joachim Gasquet[1] :

Saisir l’instant et le faire durer, nuancer ensemble la même minute qui passe, s’emparer de la changeante, de la chatoyante matière, faire chanter le bloc de marbre : Il ne faut pas qu’il y ait une seule maille trop lâche, un trou par où l’émotion, la lumière, la vérité s’échappe. Je mène, comprenez un peu, toute ma toile, à la fois, d’ensemble. Je rapproche dans le même élan, tout ce qui s’éparpille…Tout ce que nous voyons, n’est-ce pas, se disperse, s’en va. La nature est toujours la même, mais rien ne demeure d’elle, de ce qui nous apparaît. Notre art doit, lui, donner le frisson de sa durée avec les éléments, l’apparence de tous ces changements. Il doit nous la faire goûter éternelle. Qu’est-ce qu’il y a sous elle ? Rien peut-être. Peut-être tout. Tout comprenez-vous ? Alors je joins ces mains errantes…Je prends, à droite, à gauche, ici, là, partout, ses tons, ses couleurs, ses nuances, je les fixe, je les rapproche…ils font des lignes. Ils deviennent des objets, des rochers, des arbres, sans que j’y songe. Ils prennent un volume. Ils ont une valeur. Si ces volumes, si ces valeurs correspondent sur ma toile, dans ma sensibilité, aux plans, aux taches que j’ai là sous mes yeux, eh bien ! ma toile joint les mains. Elle ne vacille pas. Elle ne passe ni trop haut, ni trop bas. Elle est vraie, elle est dense, elle est pleine. Mais si j’ai la moindre distraction, la moindre défaillance, surtout si j’interprète trop un jour, si une théorie aujourd’hui m’emporte qui contrarie celle de la veille, si je pense en peignant, si j’interviens, patatras ! tout fout le camp.

Ne pas penser en peignant, tout est là pour Cézanne comme pour Matisse. Se laisser guider par ce qu’ils appellent « l’instinct », qui arrive à vaincre la raison.
Le problème essentiel en peinture est esthétique au sens que j’ai indiqué dans l’introduction : il est celui de la relation entre l’homme et les choses et même des choses entre elles que l’instant réalise en libérant au-delà de la limite des choses elles-mêmes, le sens qu’elles portent. C’est la raison pour laquelle Cézanne se trouve démuni devant l’impossible tâche de saisir cet instant, d’en faire le compte complet, d’en venir à bout comme l’avait décrit Balzac dans sa nouvelle Le Chef-d’œuvre inconnu. Mais n’est-ce pas le propre de l’œuvre que de tenter de fixer pour toujours et en tout lieu ce qui disparaît quand il apparaît en un lieu singulier ? C’est un véritable combat, une révolte avait dit Matisse, que de nommer, fixer et présenter ce qui disparaît. Ce combat fut aussi celui de Mallarmé.

Il y a tout d’abord un premier combat quotidien de l’artiste, du peintre ou du poète avec son talent qui reste toujours à cultiver car le chemin qui va de l’instant à sa tentative de représentation passe par la maîtrise de la technique et par des inventions. Il est bien évident que l’importance d’un artiste se mesure à la quantité d’inventions qu’il introduit dans son langage.
Il s’agit encore d’un combat mené contre l’instant, contre le mouvement et les formes qu’il produit, afin de les fixer, en quelque sorte les faire durer. Ce qui est un paradoxe que seul l’artiste comprend jusque dans sa chair.
Mais il s’agit surtout d’un autre combat bien différent, on pourrait dire philosophique, que l’artiste comme de tout un chacun mène contre lui-même afin de réussir à être en relation avec cet instant et ce qu’il produit, immédiatement (sans penser) et sans concept a priori, pour au final « faire un avec son modèle », être un avec l’instant, par l’expérience qu’il en a, et ensuite « faire un avec son tableau » (expressions de Matisse et aussi de Cézanne) ou un avec son œuvre en train de se faire ; et donner ainsi la possibilité à celui qui par la suite voit l’oeuvre produite de vivre la même expérience d’unité.
Le combat du peintre contre lui-même, comme de tout poète afin qu’il devienne un « voyant » (Rimbaud), un « écoutant », un homme libre, exige tous les sacrifices.
Il exige dépouillement et appauvrissement. Cézanne n’a-t-il pas écrit à Emile Bernard : « Donner l’image de ce que nous voyons en oubliant tout ce qui a paru (apparut) avant nous. » Ce combat est chemin de liberté. Une libération de tout système, de toutes doctrines, de toutes conventions passées, dont le créateur ne doit plus être prisonnier. Cette remarque est valable pour tout artiste, tout poète ; pour tout homme.
Le dernier combat, celui que Balzac nous présente dans Le Chef-d’œuvre inconnu, est celui de la création, quand l’artiste tente de contraindre l’instant à se montrer à travers l’œuvre. Le créateur se bat avec sa création qui résiste. Il veut la soumettre, la conquérir. Il se fraye un passage « à la hache, à la bêche, au marteau, à la scie[2] », comme l’écrit Kandinsky. Mais il reste souvent impuissant et maladroit. Mal vu, mal dit, formulerait Samuel Beckett. Car dès qu’on pense, on ne voit plus.
Et tous ces combats, contre soi-même et contre l’œuvre en train de se faire, viennent se contrarier. Le premier, que l’artiste mène contre lui-même, aboutit au dépouillement, à l’appauvrissement, à l’écoute ; et le second, que l’artiste mène avec son motif, sa matière et son talent, demande technique, accumulation de connaissances, assemblage, reconstruction, condensation, composition, réflexion. Un peu comme si la connaissance venait contrarier la co-naissance qui l’avait précédée. Et on peut penser que ce double combat a épuisé Cézanne. Ce fut sa croix.

Le travail de Matisse se fonde sur une démarche identique : écoute, dépouillement, naïveté, humilité, et donc se réalise avec le même type de questionnement que Cézanne. Comment saisir l’instant dont la métaphore de l’éclair évoque parfaitement le côté insaisissable ? Et surtout comment le faire durer dans la composition produite sur la toile ? Matisse traite différemment cette question, car le peintre par ses multiples créations réussit sans conteste à opérer un élargissement de l’instant au-delà des choses. N’a-t-il pas déclaré et écrit à propos de ses créations qu’il voulait inscrire dans des petits tableaux de cinquante centimètres ou de un mètre, dans tout espace réduit, un espace spirituel, et infini; c’est-à-dire un espace aux dimensions que l’existence même des objets ne limite pas, ni dans la durée ni dans l’espace. La peinture de Matisse va toujours au-delà de ce qu’elle montre. Elle élargit le cadre donné. Elle le libère de ses limites et ses limites disparaissent. Par exemple, la présence de fenêtres dans ses tableaux d’intérieur permet le passage vers l’extérieur et inversement. Ou encore comme dans La Danse les corps dansant donnent le sentiment d’entrer et de sortir de la toile ou des panneaux muraux. La peinture de Matisse, par sa composition, ses couleurs, ses lignes, son énergie et ses tensions, par la direction dynamique donnée aux formes, va au-delà de ce qu’elle présente ; elle va vers l’infini en infinies directions, en toutes directions. Voilà l’action de l’œuvre sur celui qui la voit et l’admire.
Mais il en est de même pour Cézanne. Que veut dire exactement Cézanne lorsqu’il reproche par exemple à Courbet de manquer d’élévation (Erhebung écrit Osthaus qui vint lui rendre visite à Aix en avril 1906) ? Elévation par rapport à quoi ? Elévation au dessus de quoi ? De l’apparaître réel et fini des choses. Elévation, envol vers l’infini que chaque chose à son instant libère. Ce qui rend l’homme vivant. Ainsi sa peinture va au-delà de ce qu’elle présente, c’est-à-dire vers l’infini. Elle témoigne de l’infini par la finitude du tableau.
Par l’instant qu’ils peignent, Matisse et Cézanne, pour ne prendre que ces deux peintres majeurs, libèrent chaque chose présentée et finie en nous emportant vers un monde infini au-delà du cadre étroit du tableau. L’œuvre témoigne de l’infini par sa propre finitude.
Tel est le miracle possible de toute œuvre d’art : montrer et faire vivre au spectateur l’infini du monde rendu présent par l’œuvre. Monde que Matisse par exemple veut à cet instant : éternel, doux, harmonieux, mystérieux et calme et même reposant. Monde que l’homme est en capacité d’entendre et de contempler. Un monde détendu, apaisant et libre. Citons un vers de René Char : « Si nous habitons un éclair, il est le cœur de l’éternel ». Cet éclair dont nous parle le poète, je le nomme instant. Instant impossible à habiter si le verbe habiter signifie durer, avoir demeure, avoir des habitudes.

Et justement c’est l’instant où il faudrait prendre demeure qui ouvre vers cet infini, qui est cet infini même. Un sentiment de beau nous envahit alors. Ce sentiment est presque toujours au rendez-vous de la rencontre lorsqu’elle nous ouvre vers l’infini. Ainsi un paysage naturellement ouvert, une vue dominante, une perspective. Ainsi la lumière d’un visage ou le mouvement d’un animal saisi dans sa course. La montée d’un arbre et de son feuillage vers le ciel qui donne la sensation d’élévation.
En fait tous ces sentiments donnés par la beauté des choses à l’instant de leur rencontre, sont de même nature que le sentiment amoureux : ouverture, élévation, élargissement, libération. L’amour est au delà, il n’est retenu par rien. Celui qui aime vole, court et se réjouit, il est libre et rien ne le retient.
Pour ce qui concerne un tableau, comme pour toute oeuvre d’art (une musique ou le mouvement d’un corps qui danse par exemple), comme pour toute rencontre vécue à son instant : le sentiment du beau est produit concrètement et de manière finie par la grâce d’une œuvre donnée et par l’instant qu’elle créé. Ce sentiment est celui de l’infini ouvert présenté dans une œuvre et qui en constitue la beauté même ; cette beauté traverse la toile, elle traverse l’espace créé par l’œuvre elle-même tel l’éclair du poème de René Char ; l’éclair qu’un coup de foudre traverse lors d’une rencontre. Rencontre amoureuse, rencontre esthétique[3]. Cet éclair va au-delà du cadre fini du tableau ou au-delà du poème, au-delà de la rencontre.
La beauté de l’œuvre finie, une et unique, qui excède le fini, qui excède l’unité de l’oeuvre par l’infini qu’elle ouvre au delà, témoigne de l’infini présent concrètement dans l’œuvre. L’unité finie est essentielle à l’œuvre d’art, essentielle à toute rencontre, seule cette unité est en capacité de nous emmener au-delà vers l’infini.
Voilà la beauté. La beauté n’est pas propriété de l’étant en tant qu’étant, propriété de la chose comme telle que l’homme analyserait et même imposerait comme canon. Et c’est bien pour cette raison que, contrairement à ce qui est habituellement pensé, l’esthétique n’est ni normative, ni descriptive. Aucune académie ne dictera les règles du beau. Le beau ne concerne pas la chose comme telle, l’objet en lui-même. Il n’y a pas de théorie du beau qui obéit à des lois, des règles de fabrication, à des normes, des proportions, une convention, à un académisme ; car si d’aventure on prétend définir la beauté propre de l’objet ou de la chose comme telle, ne va-t-on pas imposer des règles ? Chaque artiste un jour s’y est opposé dans ses créations.
Ce n’est pas l’objet en lui-même qui est beau ; l’objet en tant que ce qui est harmonieux, ferme, solide, un, puissant ; l’objet en tant que ce qui tient par lui-même ; mais c’est, à l’instant de la rencontre avec cet objet, la possibilité du passage à l’infini qu’il procure. La possibilité de nous emmener au-delà de lui-même et de ses limites. Et au-delà du sujet qui en fait l’expérience au même instant. Sujet et objet à l’instant ne sont plus. L’homme (sujet) est en capacité d’entendre, d’être emporté vers l’infini à l’instant de l’expérience de quelque chose. L’esthétique n’est pas science mais expérience. Expérience de l’infini à travers et grâce aux choses finies.

Le beau peut alors être dit comme libre passage du fini vers l’infini.[4] Et c’est probablement ce passage qui procure tant de plaisir, de jouissance. Ivresse dionysiaque avait écrit Nietzsche. Simplement le fait d’être par-delà soi-même. Une joie de vivre.
Pourquoi ? Parce que le beau comme instant du passage à l’infini est signe de puissance et de liberté ; il est signe d’infinies possibilités, comme il est signe de la possibilité de l’infini. Mais de quelle nature est cette puissance ? Elle est ouverture infinie aux choses données : elle est disponibilité de soi-même. Mise à disposition, libération de soi au-delà de soi-même, de ses propres limites. Elle est donc en même temps une totale impuissance de soi. On se livre. On se libère. On est ravi par delà soi-même. Voilà la puissance ravissante de la beauté comme libre passage du fini vers l’infini.
Et c’est bien cette puissance/impuissance de l’homme capable d’être un avec à l’instant de l’expérience du un fini, qui permet l’écoute du sens ; et qui permet aussi d’aller au-delà de soi, de ses propres limitations. Delacroix ne disait-il pas à la fin de sa vie : J’ai atteint l’âge heureux de l’impuissance.

Le beau est libération vers l’infini du un fini au delà de ses propres limites donc au delà de sa finitude. Cette définition va bien au-delà de celle de Kant qui voyait dans le beau un pur plaisir contemplatif (Wohlgefallen) hors de tout intérêt propre, c’est à dire hors du jugement déterminant, mais en laissant la chose se livrer elle-même. Cette esthétique kantienne fondée sur le jugement réfléchissant sans concept opposé au jugement déterminant, pose d’ailleurs de grandes difficultés philosophiques pour le criticisme kantien.
La définition du beau proposée comme libération au-delà de sa propre limite du un fini vers l’infini, concernerait l’ensemble des choses naturelles qui se déploient à partir de leur propre fonds, quand, à l’instant de leur expérience, elles occasionnent ce passage. Et dans tous les cas elles l’occasionnent. Il suffit d’être à l’écoute. L’homme est capable d’entendre ce passage du sens, c’est peut-être sa spécificité. Sa dignité insigne.

L’énigme de la beauté qui a-t-on dit sauvera le monde est là où dans un espace limité, l’idée d’immensité est transmise.
La beauté n’est pas uniquement un ornement surnuméraire ou encore un agrément accessoire qui procurerait du plaisir. Mais même dans ce cas d’un pur ornement, n’est-elle pas, la beauté, la possibilité d’échapper, de s’évader, ne serait-ce qu’à l’instant de l’expérience, de cet enfermement et de sa limite imposée ? Aucune œuvre ne produit en elle-même libération de l’enfermement ou de la finitude, mais c’est par son interaction avec un autre qu’elle devient passage à l’infini, passage vers un autre possible que seul son écoute permet.

Ni l’art, ni la beauté, ni même la philosophie n’ont pu empêcher la barbarie, nous dit George Steiner. Voilà bien la question essentielle que nous pose l’esthétique. Le pur plaisir esthétique momentané produit à l’instant de l’échange par le passage à l’infini, n’est dans ce cas qu’un oubli de l’horreur. Il est divertissement au sens premier : une action de détournement, d’écartement et donc d’oubli du quotidien fini et limité. Et parfois horrible. Ce pur plaisir est divertissement dans la mesure où il permet l’oubli, il est une échappée momentanée de l’horreur comme de l’aliénation simple et banale, de l’enfermement. Dans ce cas, la beauté ne peut pas sauver le monde, au contraire elle peut permettre sa poursuite dans ce qu’il a de plus horrible. Elle permet un maintien dans la finitude. Un maintien dans la caverne, dirait Platon.

Mais l’œuvre d’art est passage de quoi, quel est cet infini qu’elle ouvre à l’instant de sa rencontre ?
L’œuvre d’art est passage du sens. Elle est passage du sens qu’elle porte par sa propre puissance au-delà de sa limite. Ainsi l’artiste est le messager du sens. La vérité de l’œuvre est le sens que l’œuvre elle-même est en capacité de produire au-delà de sa limite, comme au-delà de l’époque de sa publication et du lieu de sa création. Sa beauté alors peut être définie dans cette capacité immanente qu’elle a en propre de produire ce passage au-delà d’elle-même ; de produire vérité (ou sens) qu’elle porte. Il y a un lien clair et établi maintenant entre vérité, beauté, et œuvre d’art.
Ainsi l’œuvre d’art ne se rapporte pas au beau mais à la vérité. Et si le lien entre vérité (sens) et œuvre est réalisé dans et grâce à l’œuvre elle-même, si l’œuvre est capable de produire le passage du sens au-delà de sa propre limite, alors l’œuvre est belle et est qualifiée comme telle.

La vérité de l’œuvre d’art peut alors correspondre aux trois idées développées dans mes livres centrés justement autour de cette question de la vérité :
1-Vérité (veritas) en tant qu’adéquation ou conformité : l’homme qui voit une œuvre présentée ressemblant à son modèle d’origine la trouvera belle parce que propre à en transmettre le sens. Dans ce cas l’œuvre est considérée comme belle.
2-Vérité (a-lètheia) en tant que dévoilement : l’œuvre singulière découvre pour le monde un sens caché (le plus souvent considéré comme durable et stable) qui nous est révélé et transmis par l’œuvre elle-même et cela de manière durable. Dans ce cas, l’oeuvre est qualifiée de belle.
3-Vérité (emet, truth ) de la présence de l’oeuvre elle-même en tant qu’elle se donne au-delà de sa limite propre : l’œuvre d’art de par sa présence nouvelle dans le monde, présence faite de bois, de pierres, toutes sortes de matériaux, de sons, de mouvements, est vérité tout simplement. Elle est belle si elle est capable de ce don. Elle est d’autant plus belle qu’elle est faite pour durer et être universellement partagée à chaque instant de sa rencontre. C’est dans cette voie de la vérité que j’ai conduit mes textes philosophiques. Dans cette idée de la vérité (sens porté par chaque chose et puissance de le transporter et de l’émettre au-delà de la limite lors de l’interaction), il n’y a aucun désaccord[5] entre beauté (réalisation du passage à l’infini) et vérité de l’œuvre d’art, qui est celle du don délivré par chaque chose à chaque instant de ses interactions.

Ainsi l’être d’une œuvre d’art est sa capacité de produire du sens. On retrouve encore les deux notions (sens et puissance) qui ensemble se nomment être. Et le sentiment du beau se situe exactement à l’instant du passage du sens au-delà de la limite de l’œuvre elle-même, lorsqu’on en fait l’expérience.

L’homme est celui qui participe de ce passage et qui l’entend. La laideur pourrait alors se définir par son contraire : une fermeture, un enfermement du fini dans la finitude que le divertissement nous fait accepter en tant que même finitude. L’enfermement du fini dans la finitude, c’est exactement ce qui nous est proposé dans l’idée actuelle de mondialisation comme seule possibilité pour le monde soumis et limité aux impératifs économiques marchands, au capitalisme planétaire qui ne laisse aucune autre place, notamment pas à la beauté tant qu’elle n’est pas rendue en marchandises, en ustensiles, en produits finis, en divertissements. Ce monde de la mondialisation actuelle qui nous est présenté sans alternative possible, nous enferme dans sa nuit. L’inverse de l’ouverture.

L’art qui serait une libération de ce monde clos actuel comme de toutes formes d’enfermement, nous offre cette ouverture. Et c’est bien ainsi qu’il faut comprendre la phrase et toute son ambiguïté : La beauté sauvera le monde.

Telle est l’action de la Beauté, la Beauté insaisissable mise sur ses genoux par le poème, la Beauté ouvrant les cœurs. Passage où coulent tous les vins. Voilà son action qui n’est pas le propre de l’œuvre d’art, du poème, mais concerne toute chose à son instant : ouvrir vers l’infini en créant un lieu, sans aucune interrogation ni interprétation possible, sauf après coup lorsqu’on tente de le fixer à nouveau.

FIN


Texte auquel vous avez échappé lors de la soirée philosophie (pour ceux qui veulent en savoir plus)
La beauté est ce qui ravit à l’instant du passage à l’infini. Par exemple la musique et la danse :
·           La musique va immédiatement au-delà de la note et se poursuit à chaque instant pour nous emporter vers l’infini de son monde intérieur ouvert. Cet infini immédiat du monde de la musique est au-delà du rythme, du son, de la durée ou du temps qui mesure la composition musicale.
·           La danse (populaire ou de ballet), second exemple, dont la spécificité se situe dans la présentation immédiate du mouvement des corps qui créent l’espace et son unité, va justement au-delà des corps finis pour nous transporter, dans l’oubli de leur poids, de leur pesanteur et de leur limite, vers l’infini. A l’instant plus rien n’existe, plus de scène, plus de salle, plus rien que la présence de l’œuvre. Ce sentiment est identique pour toute œuvre. D’une même façon, le fini du cadre scénique qui peut être un plateau nu, le où évoluent les danseurs, est oublié car il n’existe pas à l’instant de la représentation s’il s’agit d’un ballet classique, il n’est pas un cadre déjà là dans lequel évolue l’artiste. Mais il se crée à chaque instant du mouvement des corps. Et nous sommes emportés au-delà de la scène grâce à l’espace créé par le mouvement, vers l’infini. Cet infini immédiat et immanent nous est ouvert au-delà l’espace scénique, au-delà de la salle qui nous enferme pourtant dès qu’on y pense après coup.

Pour arriver à cette ouverture vers l’infini du sens re-présenté – présenté, sont nécessaires virtuosité, technique, talent et travail incessant. La musique avec laquelle danse le danseur ne lui est pas essentielle. La danse, sa légèreté, est faite de puissance retenue, de virtuel, de précisions, de pointes, de suggestions. De mouvements infixables ouvrant l’espace infini.
La peinture : de touches, d’aplats, de lignes, de douceurs comme de tensions, de formes et de directions.
La poésie : de mystère mis en mots et de leur agencement.
Le son (les notes) et le rythme (les silences), les corps en mouvement, les mots entrent alors en relation immédiate avec l’âme ou avec la conscience, sans l’intermédiaire de la pensée qui est toujours une mise en rapport ultérieure. Le passage du sens s’effectue presque miraculeusement, sans effort de la pensée. Il est accueilli sans concept.

Et justement la beauté de toutes choses se reçoit exactement là, à l’instant immédiat du passage vers l’infini. A l’opposé se trouve le laid, l’enfermement dans le fini : la musique militaire binaire, le défilé au pas des soldats qui retombe invariablement dans le deux, les images vulgaires de certains téléfilms, la mécanique répétée d’une poésie, tout ce qui nous enferme et nous tient prisonnier dans la finitude.
L’instant est le passage créant espace et temps ouvrant vers l’infini, et pour l’homme il est celui d’une expérience esthétique dont il a une conscience immédiate. Cette expérience esthétique humaine est le signe de la liberté et de son échappée, elle est aussi le signe de son écoute absolue, elle a lieu sans a priori, elle est libre de tout jugement et concept, de toute utilité et convention, de toute pensée. Elle est immédiate. Cette liberté peut également se dire en termes d’abandon, de dépouillement ou d’appauvrissement ; tout ce qui va permettre l’écoute et le regard libres de tout concept.
Mais ni le concret limité du tableau du peintre, ni une suite de notes venues au monde, ni leurs rythmes, ni une phrase poétique limitée par ses mots, ni le mouvement d’un danseur n’arriveront à combler l’instant du passage du fini vers l’infini. C’est pourtant le miracle propre de l’instant d’ouvrir ce passage. Instant que justement Cézanne s’est évertué à nous rendre dans son œuvre peinte. L’instant qui est ouverture, transporte celui qui l’écoute au-delà de son présent, et l’emporte vers d’autres possibles, à l’infini.
Matisse semble avoir réussi : il ouvre son tableau qui déborde dans toutes les dimensions au-delà de son cadre, et nous emporte. Mallarmé également semble y réussir lorsque sa poésie mystérieuse enroule de ses mots ce qui ne pouvant être saisi et qui s’échappe toujours.
Voilà bien l’énigme de la beauté, de la poésie en train de s’écrire, se dire ou se lire : présenter l’insaisissable instant ouvrant vers l’infini qui a lieu au-delà de son lieu qu’il créé. Qui a pris lieu en le créant à l’instant dans le poème, dans l’œuvre peinte, dans la phrase musicale, dans le mouvement du corps. L’œuvre, ou toute autre chose considérée ainsi, n’est sujette à aucune interrogation, à aucune interprétation. Seule sa présence, mise en œuvre par l’espace et le temps qu’elle crée, tout en s’évanouissant et disparaissant à l’instant, compte – contée par le nom qui est dit et prétend la fixer, par le poème.

Cette ouverture de toutes choses est universelle, car quelles que soit leur nature ou leur modalité d’existence et quel que soit le lieu créé par leur mise en œuvre, elles sont passage au-delà de leurs propres limites. Telle est la puissance de l’œuvre d’art, au-delà de tout jugement : puissance de favoriser le passage vers l’infini. Voilà aussi la terrible difficulté du cinéma, difficulté intrinsèque due à sa technique même. Difficilement capable de nous emporter au-delà de ce qu’il montre, et donc condamné à rester presque toujours dans le cadre étroit et vulgaire de l’image qui prétend au vrai ; le cinéma, contrairement au théâtre, reste enfermé dans le trop plein du cadrage scénique où se dévoile le montage qui lie les images d’une scène à l’autre. Les seules exceptions sont le signe d’une échappée au-delà du cadrage, de l’image, de sa réalité-vraie comme de l’artifice d’un montage prétendant reproduire un fil.
Dans le cinéma ce qui compte, ce qui est important, c’est justement ce qu’on ne voit pas sur l’écran.  Dans une photographie c’est identique. La question posée par ces deux moyens, est celle de l’exactitude ou de la prétention au vrai, exactitude qui n’est pas vérité, qui même parfois nous en éloigne. Le roman a plus de facilité à opérer le passage, dans la mesure où il n’y a pas la pollution de l’image. Le cinéma, lui, reste le plus souvent embourbé dans la finitude. (….)
Etc.

Pour ceux qui veulent encore poursuivre, ils peuvent se procurer le dernier livre de philosophie publié cet été 2016 : Métaphysique de l’instant, au éditions Kairos, notamment le paragraphe 102, p. 130. qui s'intitule l'instant esthétique

François Baudin, le 2 octobre 2016.




[1] Conversations avec Cézanne, Editions Macula, p. 186-187.
[2] Vassily Kandinsky, Regards sur le passé, autres textes. éd. Hermann, Paris, 1974, p. 115.
[3] Henri Matisse écrit en septembre 1940 dans une lettre adressée à son fils Pierre Matisse marchand d’art à New York : « Quelquefois je m’arrête sur un motif, un coin de mon atelier que je trouve expressif, même au dessus de moi, de mes forces et j’attends le coup de foudre qui ne peut manquer de venir. Ça me prend toute ma vitalité. » Op. cit. p. 183.
[4] A propos de cette notion de passage du fini vers l’infini, Schiller, dans sa dix-neuvième lettre sur l’éducation esthétique de l’homme évoque également cette même notion mais dans un tout autre sens puisqu’il s’agit alors d’une libération de la sensibilité par la pensée, mais sans quitter la sensation, et c’est là que se situe la particularité de Schiller par rapport à Kant : « …la beauté pour l’homme ménage le passage de la sensibilité à la pensée. » Lettres sur l’éducation esthétique de l’homme, dix-neuvième lettre, Aubier, Paris, 1992, p. 257.
[5] Ce désaccord ou désunion entre vérité et beauté de l’œuvre d’art que Nietzsche a pointé, ne peut être fondé que sur une conception platonicienne et dualiste de la vérité que Nietzsche en définitive adopte tout en la renversant. Cela est clairement exprimé par Nietzsche qui écrit : L’art en tant que transfiguration est d’une vertu plus intensifiante pour la vie que la vérité en tant que fixation d’une apparence. (Cité par Heidegger, Nietzsche, op. cit. p. 195.)